jeudi 25 octobre 2007

Guy Môquet est partout

Dans les colonnes du Bien Public, l'historien Jean-Marc Berlière a accordé un intéressant entretien sur le jeune militant communiste fusillé par les Allemands.




Jean-Marc Berlière remet les pendules communistes à l'heure.


« Guy Môquet n'était pas un résistant »


Jean-Marc Berlière est professeur d'histoire contemporaine à l'université de Bourgogne. En cette période où Guy Môquet est « partout » - même auprès de l'équipe de France de rugby ! - ce spécialiste de la période de l'Occupation, donne son point de vue.

Le Bien pu- blic - les Dépêches : « Demain, à la demande de Nicolas Sarkozy, la lettre que Guy Môquet a écrite juste avant d'être fusillé par les Allemands en 1941 doit être lue aux lycéens. Que vous inspire cet hommage ? »
Jean-Marc Berlière : « C'est d'abord une bonne chose dans la mesure où cela permet de remettre en lumière une époque et des personnalités complètement inconnues. Si l'on avait posé la question il y a quelques mois, beaucoup auraient certainement cité, à l'énumération de ce nom, une station de métro ! Mais, on est actuellement en pleine récupération politique. D'une part, par un président dont on ne savait pas que son Panthéon était constitué de figures de gauche et d'autre part, par le parti communiste qui, avec cette affaire, est en train de piétiner 50 ans d'historiographie, ce qui est gravissime ! »
BP-LD : « C'est-à-dire ? »
J.-M. B. : « On est en train de dire n'importe quoi sur le plan historique. Le parti communiste n'était pas résistant quand Guy Môquet est arrêté en octobre 1940, et le fait qu'il soit exécuté par les Allemands un an plus tard ne changera rien à cette donnée. En octobre 41, il est fusillé comme otage, à la suite d'un attentat, commis par des communistes qui sont entrés en résistance à l'été 1941. Affirmer le contraire est un anachronisme ».
BP-LD : « Dites-nous en plus sur le PCF de cette époque ? »
J.-M. B. : « Le parti communiste à l'été 1940 est dans une position claire, celle de Moscou, de l'Internationale communiste, découlant du pacte germano-soviétique du 23 août 1939. Les communistes dénoncent alors la guerre, qui n'est plus celle contre l'Allemagne nazie ou contre le fascisme, mais une guerre impérialiste entre l'Allemagne et l'Angleterre.
Ils ne sont ni patriotes, ni démocrates, mais internationalistes et luttent pour instaurer la dictature du prolétariat. Maurice Thorez, par exemple, a déserté pour gagner l'URSS, il y aura même des sabotages dans des usines. C'est pourquoi les communistes sont arrêtés et poursuivis par la République. Plusieurs milliers vont ainsi être internés ».
« Fais de cela un monument »
BP-LD : « C'est ce qui arrive à Guy Môquet. »
J.-M. B. : « Lui est arrêté en octobre 1940 car il est communiste et distribue des tracts du parti. Dans ces textes, on chercherait en vain un mot contre les Allemands. Le gouvernement de Vichy est au pouvoir depuis le 10 juillet. Il n'a pas supprimé la législation mise en place sous la IIIe République. Le PC n'entrera très clairement dans la résistance qu'après l'attaque de l'URSS par la Wehrmacht l'année suivante.
Le parti commencera alors à organiser des attentats. Suite à l'un d'entre eux, le 20 octobre 1941 quand trois jeunes communistes tuent le commandant militaire de la place de Nantes, 25 de leurs camarades, dont Guy Môquet, et deux trotskistes sont choisis dans un camp d'internement de Vichy, à Châteaubriant, près de Nantes, pour être fusillés le lendemain, le 22 octobre ».
BP-LD : Comment ce jeune homme qui avait 17 ans est devenu un symbole ?
J.-M. B. : « Après cette exécution, l'émotion a été énorme malgré la censure. Très vite, Jacques Duclos, le chef du PC clandestin, a vu tout le parti qu'il pouvait tirer de cette affaire.
Après avoir récupéré les lettres des condamnés, mais aussi des planches de la baraque dans laquelle les otages avaient été rassemblés et sur lesquelles ils avaient écrit leurs derniers mots, il les envoie à Aragon, le poète écrivain, en lui disant « fais de cela un monument ».
Ce monument, c'est le « Témoin des martyrs » qui paraîtra clandestinement en 1942Êet qui constitue la première pierre du monument mémoriel que le PCF va construire sur les « 27 de Châteaubriant » dont Guy Môquet, par sa jeunesse, sera le symbole le plus éclatant. Sa mort sera exploitée à des fins politiques par un parti soucieux d'effacer une période « difficile » de son histoire ».

Cyrill BIGNAULT


Parutions
Jean-Marc Berlière a écrit, avec Frank Liaigre, plusieurs ouvrages consacrés au PCF sous période de l'occupation : « le sang des communistes », paru chez Fayard (2004), qui raconte l'histoire de l'été 1941, le début des attentats, de la lutte armée et des fusillés de Châteaubriant. Une suite de ce premier ouvrage est parue il y a quelques semaines, toujours en collaboration avec Frank Laigre : « Liquider les traîtres », sous-titré « La face cachée du PCF 1941 - 1943 », chez Robert Laffont.

Aucun commentaire: