lundi 22 octobre 2007

Ne jamais faire confiance à un historien anglais



Batailles

R. G. Grant
Flammarion, 360 p., ill., cartes, 40 e, ISBN 978-2-0812-0244-3.


Bel effort des éditions Flammarion dans le domaine des beaux livres. Voici quelques jours, nous avions signalé le sans faute de l’ouvrage consacré à la Ve République sous la signature de Jean Lacouture.
Toutefois, les plus belles gemmes cèlent des défauts et le tout récent album Batailles est le parfait exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Voici quelques notes prises au fil de la lecture d'une sélection de pages de ce bel album.

En premier lieu, l’éditeur a oublié deux principes à respecter à chaque fois que l’on adapte un ouvrage acheté à des éditeurs d’outre-Manche :

1) Ne jamais faire confiance à un historien anglais.
2) Ne jamais faire confiance à un traducteur généraliste.


L’auteur, RG Grant, est un publiciste tout terrain qui écrit sur tout et n’importe quoi dans la mesure où un éditeur est prêt à lui signer un généreux contrat. Je dois à la vérité de préciser que Flammarion ne prétend à aucun moment que R. G. Grant est historien, l’éditeur se contente d’écrire « est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages historiques ». En réalité, on peut légitimement s’interroger sur son rôle car il semble davantage gérer une franchise éditoriale que conduire une carrière d’écrivain à la papa.
Ainsi, pour l’ouvrage Batailles qu’il signe de son nom, R G Grant a reçu le concours de cinq auteurs, et l’éditeur a mis sur le projet non seulement un responsable éditorial, mais quatre éditeurs, un responsable artistique, quatre graphistes, et deux iconographes. Sans compter cinq consultants et un correcteur. A la louche, un budget de plus de 200000 euros.
De quoi faire rêver un éditeur français. Ces moyens sont rendus possibles non seulement par le marché du livre en langue anglaise mais aussi sur le fait que ces livres grand-public sont vendus à coup sûr à des éditeurs pour les petits marchés comme la France ou l’Italie.
Avec 360 pages, plus de mille illustrations, de nombreuses cartes, une mise en page fouillée et recherchée, cet album est bien placé pour attirer les regards et motiver les décisions d’achat pour les fêtes. D’autant que son prix de vente, 40 euros, est très modéré. Il s’explique probablement par son impression à Singapour en même temps que les éditions en d’autres langues.
En d’autres termes, c’est un bel exemple de ce que la mondialisation éditoriale peut apporter aux cadeaux de fin d’année.
Les points forts de l’ouvrage sont nombreux. Outre une superbe réussite esthétique, soulignons le réel effort de cartographie. A quelques exceptions près (comme la présence d’une nation basque en Espagne au VIe siècle, séparant les Francs des Wisigoths), la cartographie est de très bonne qualité et, surtout, elle s’intéresse à des moments mal connus des français.

Une perspective plus mondiale

Un des atouts de cet album est une perspective plus globale donnée aux événements. Ainsi, la grande poussée de l’Islam qui conduit les tenants des Mahomet à envahir et à conquérir des pays chrétiens s’est également dirigée vers l’est où elle a fait face à la résistance des hindous.
De nombreuses pages sont consacrées aux guerres en Asie, horizon qui manque habituellement aux ouvrages européens.

En revanche, les défauts de l’adaptation française sont si criants qu’ils interdisent tout usage sérieux de cet ouvrage. Il est notamment à déconseiller pour tout emploi scolaire.

Les économies de bout de chandelle

Les éditeurs qui achètent dans un pays anglophone un livre avec un tel pedigree sont rétifs à l’idée de rajouter des coûts au budget qu’ils prévoient important de traduction. Pourquoi s’encombrer d’un consultant français, spécialisé dans l’histoire militaire, pour revoir un travail ayant reçu un satisfecit orné d’aussi prestigieuses signatures que celles des consultants cités à l’ours de l’ouvrage ?
Pourquoi en effet, on se le demande.
En premier lieu, parce que ce livre a été écrit par des Anglais qui sont à l’histoire ce que Déroulède était à la poésie.
En second lieu, car il n’existe pas de traducteur universel. Prenons ceux sélectionnés par Flammarion pour mettre en français ce gros volume consacré à la guerre, aux massacres, aux batailles, aux armes et autres instruments de mort. Stéphanie Soudais est une spécialiste de jardinage à laquelle on doit Les fleurs sauvages par couleur.
Nordine Haddad, bien connu des éditions du Rocher, est quant à lui est un traducteur qui a de la bouteille, mais il se spécialise dans la littérature, un domaine bien éloigné des champs de bataille.
Il s’agit donc de personnes qui, en raison de leur expérience, seraient bien en peine de distinguer une gâchette d’une queue de détente.

Voici un bel exemple d'erreur de traduction qui ne s'explique que par le manque de culture générale historique et militaire des traducteurs et des éditeurs :


Faut-il en déduire que Pierre Clostermann, un des grands as français de la Seconde Guerre mondiale est un pilote américain ? Faut-il penser que personne chez Flammarion ne connaît Pierre Clostermann ? Pourtant cet éditeur devrait le savoir.

Voici la couverture d'un des ouvrages écrits par Pierre Clostermann et publié par… Flammarion !




Erreurs de traduction

Tout lecteur bien informé ne manquera pas de grimper au plafond en lisant le livre tant les erreurs de traduction abondent. Sans vouloir être exhaustifs, en voici une sélection.

Le 12 juillet 1690, à la bataille de la Boyne en Irlande, les orangistes ont battu les jacobins.
Il aurait fallu écrire : les jacobites.

En parlant de la guerre hispano-américaine de 1898 : « Ce fut une guerre malheureusement menée d’un seul côté et que l’on peut résumer à la guerre de Santiago de Cuba, en juillet ». Beau charabia.

Confusion. En rendant compte de la mort du baron de Ketteler, ministre plénipotentiaire d’Allemagne à Pékin, les traducteurs ont confondu ministre d’Allemagne (terme diplomatique) et ministre allemand.

Confusion entre le terme anglais pour désigner un fusil et un canon. Ainsi, à la bataille de Tannenberg, les Allemands capturent entre 300 et 500 canons russes et non pas des « fusils ».

Charabia. L’empereur autrichien François-Joseph félicitant un soldat récemment décoré de l’armée de masse austro-hongroise. En fait, il s’agit de l’empereur Charles qui décore un soldat du rang.

Charabia. Malgré l’excitation d’avant-guerre causée par la course à la construction des flottes, Jütland fut le seul conflit majeur entre la grande flotte britannique et la flotte allemande de Haute mer.

Confusion. Le cuirassé de poche Graf Spee fut poursuivi par les cuirassés Exeter (lourd), Ajax et Achilles (légers). En réalité, l’HMS Exeter était un croiseur lourd et non pas un cuirassé. Quant à l’HMS Ajax et à l’HMS Achilles c'étaient des croiseurs légers.

Les villes anglaises « mises à sac » par les bombardements allemands..

L’amiral John Jellico au lieu de John Jellicoe.

Les erreurs de terminologie conventionnelle sont particulièrement préoccupantes car elles interdisent à un lecteur non averti de s’y retrouver.

Guerre de Grande Alliance
Guerre de la Ligue d’Augsbourg

Wilhelm III, prince d’Orange
Guillaume III, prince d’Orange

William III, roi d’Angleterre
Guillaume III, roi d’Angleterre

Guerre de la Succession d’Espagne
Guerre de Succession d’Espagne

La guerre Franco-indienne
Traduction mot à mot de l’expression French and Indians wars en usage en Amérique du nord pour décrire les combats qui s’y sont déroulés durant la guerre de Sept Ans. Cette expression n’est pas utilisée en français.

Cœur violet
Purple Heart

Front de l’Est (Première Guerre mondiale)
Front oriental

Grande flotte de la Royal Navy
Grand Fleet de la Royal Navy

Français et forces impériales
Français et troupes coloniales

Troupes britanniques écoutant leur brigadier
Troupes britanniques écoutant leur général

Erreurs de légende

Confondre catapulte et trébuchet.
Appeler stone hurler un trébuchet comme s’il s’agissait d’une désignation usuelle pour cette arme.

Sur la même double page, la guerre de Trente ans est déclenchée par deux événements différents et à deux dates différentes. Sur la page de gauche, c’est la défenestration de Prague le 23 mai 1618, alors que sur la page de droite, c’est au contraire la bataille de la Montagne blanche en juillet 1620 qui marque le début du conflit.

Les guerres de religion ne sont pas déclenchées en France par les massacres de la Saint-Barthélemy, mais cet événement ponctue dramatiquement un conflit commencé au moins dix ans plus tôt.

Sur le tableau du siège de Yorktown, Rochambeau n’est pas à la gauche de Washington, mais à sa droite.

Les auteurs ne manquent pas de culot en écrivant que l’affrontement de frégate américaine Bonhomme Richard contre la frégate anglaise Serapis est « la bataille navale la plus célèbre du siècle ».

« Isandhlwana. Le camp britanniques ravagé par les Indiens », il s’agit plutôt de Zoulous.



Il s'agit d'un canon français de 37 mm et non pas d'une mitrailleuse.



Erreurs de méthode

La double page consacrée à la guerre de Crimée réussit l’exploit de ne pratiquement pas parler des Français et de ne pas dire mot des grands enseignements de cette guerre très moderne. Ainsi, le rôle de la marine est passé sous silence alors qu’à elle seule la flotte française, renforcée par les bâtiments réquisitionnés, a transporté dans les deux sens 310 000 hommes, 42 000 chevaux, 1 676 pièces d'artillerie et 600 000 tonnes de matériels divers. Un exploit pour cette époque.

Erreurs d’illustrations


Outre le choix malheureux d’illustrations anachroniques provenant des illustrateurs du XIXe siècle, un oeil averti repère des erreurs qui n’auraient pas dû échapper à l’armée de consultants recrutée à grands frais pour ce livre. Prenons le cas de la bataille de Dreux ayant opposé en 1562 le prince de Condé aux huguenots du prince de Condé. Or, on voit sur la gravure des cavaliers arborant les bâtons noueux de Bourgogne avec les inscriptions Egmund folck et Duc du maÿnn folck. Il n’est pas besoin d’être un grand clerc pour savoir qu’il s’agit en réalité de la bataille d’Ivry en 1590 (la où fut prononcée la célèbre phrase « Ralliez-vous à mon panache blanc» où Henri de Navarre défit les troupes du duc de Mayenne appuyée par des contingents venus des Pays Bas sous les ordres du comte d’Egmont.
De même, l’illustration du siège d’Anvers en 1584 est en réalité la réception du duc d’Anjou en 1582 à Anvers par Guillaume d’Orange.

Dans cette illustration, on voit parfaitement que les cavaliers sont des Espagnols (drapeau aux bâtons noueux de Bourgogne) et les mentions manuscrites nous indiquent que le comte d'Egmont et le duc de Mayenne mènent la charge. Ce n'est donc pas la bataille de Dreux, mais celle d'Ivry.


Autre erreur de légendage.


Deux rebelles indiens pendus lors de la révolte des cipayes et dont la photographie par Felice Beato a fait le tour du monde, sont légendés comme étant des victimes de la retraite de Kaboul.

Inventivité géographique

Au Chili, les monts Fitzroy et Torre surplomberaient le champ de bataille de Chacabuco. En réalité, ces sommets sont éloignés de milliers de kilomètres de la plaine où eut lieu l’affrontement entre Créoles et Espagnols.

Considérer que les sultanats d’Afrique du nord sont des « empires africains » est une concession au politiquement correct. Le Maroc qui bat les Portugais à Alcazarquivir n’est en rien un « pouvoir africain ».

Erreurs de terminologie

« Au XXe siècle, le dictateur fasciste Franco tenta en vain » d’acquérir “El Tizona”, l’épée du Cid.»
Dans un premier temps, l’épée est du genre féminin en espagnol et jamais Franco ne cherché à l’acquérir puisque ses troupes l’avaient récupérée au château de Figueras en 1939 pour l’exposer depuis cette date au musée de l’Armée de Madrid.
Dans un second temps, qualifier de « fasciste » le général Franco peut se comprendre dans un ouvrage polémique mais pas dans un texte de nature historique. C’est induire ses lecteurs en erreur tant sur la nature du fascisme que sur cette de la dictature du général Franco.

Confusion entre « capitulation et armistice ». En 1943 l’Italie ne capitule pas, elle signe un armistice avec les Anglo-américains et devient cobelligérante.

Un livre d’histoire anglaise


On donne beaucoup d’importance à la tentative espagnole d’envahir l’Angleterre sous Philippe II, mais on oublie complètement l’échec de cette autre armada invincible envoyée en 1741 par les Anglais conquérir l’Amérique espagnole et qui fut misérablement défaite par une poignée d’Espagnols commandés par un borgne manchot et unijambiste, Blas de Lezo.
Cette flotte, la plus puissante jamais encore rassemblée dans l’histoire européenne, sous le commandement de l’amiral Vernon, comptait 2000 canons, 186 navires, et 23000 combattants, soit largement plus que la trop célèbre Armada invincible.
Or, on a beau chercher à la loupe cette extraordinaire victoire espagnole, on ne la trouve pas. Victime de l’oubli délibéré par les Anglais de cet affront à leur honneur national.
Cette défaite a empêché les Anglais de s’emparer des possessions espagnoles d’Amérique et ainsi changer le cours de l’histoire.
Dans le même registre, passent à la trappe les victoires espagnoles dans le golfe du Mexique durant la guerre d’Indépendance américaine. Sont oubliés la prise de Pensacola, une belle opération combinée franco-espagnole, tout comme l’échec des deux tentatives anglaises d’invasion du Rio de la Plata en 1806 et 1807, repoussées grâce à l’énergie de Jacques de Liniers, un Français natif de Niort.

Les Français oubliés


La bataille de Navarin selon R G Grant.


Un seul exemple. Le texte consacré à la bataille de Navarin, où une escadre anglaise, française et russe coule une flotte ottomane, oublie tout simplement de mentionner la participation de notre pays.

Voici ce que l’on peut lire dans l’ouvrage de R. G. Grant:

Turcs : 3 vaisseaux et 17 frégates.
Britanniques : 7 vaisseaux et 10 frégates.

Or voici l’ordre de bataille exact donné par l’ouvrage Naval History of Great Britain de William James :

Royaume Uni
Vaisseaux :
Asia, 84 canons
Genoa, 74 canons
Albion, 74 canons
Frégates :
Glasgow, 50 canons
Cambrian, 48 canons
Dartmouth, 42 canons
Talbot, 28 canons
Bricks
Rose, 18 canons,
Mosquito, 10 canons
Brisk, 10 canons
Philomel, 10 canons.

France
Vaisseaux
Sirene, 60 canons
Scipion, 74 canons.
Trident, 74 canons
Bresleau, 74 canons
Frégates :
Armide, 44 canons

Russie
Vaisseaux :
Azov, 74 canons.
Gargonte, 74 canons.
Ezekiel, 74 canons.
Alexander Newsky, 74 canons.
Frégates
Constantine, 50 canons,
Provernoy, 48 canons
Elena, 48 canons
Caston, 48 canons

Turcs : 3 vaisseaux, 15 frégates et 18 corvettes.

Tués et blessés

Français 176
Russes : 198
Britanniques : 272

Total : 646. RG Grant ne concédant que 660 pertes britanniques.

Erreurs de fond


Roland. Selon R G Grant, A Roncevaux, Roland refuse de sonner le cor pour appeler les renforts. Pourtant la Chanson de Roland nous apprend qu’il a eu les tympans crevés.


Vaisseaux en bois. Selon le texte, les vaisseaux de guerre comme le Victory ont « dominé les batailles navales jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle. » Il s’agit d’une version très contestable dans la mesure où la mise au point de l’obus explosif par les Français et plus tard la mise en service des navires protégés à vapeur (comme la Gloire) a mis un terme à suprématie de ces navires. En réalité, la dernière bataille navale à laquelle participent des vaisseaux est celle de Navarin en 1827.


Un exemple stupéfiant



Comment faire confiance à cet ouvrage quand les auteurs commettent des erreurs aussi graves que celles qui entachent la présentation de la guerre des Malouines, un conflit pourtant récent et parfaitement documenté ?

Deux affirmations des auteurs sont totalement fausses :

« les avions Harrier britanniques ne purent résister aux avions argentins, et 26 d’entre eux furent abattus pendant le conflit ».
Dans les faits, c’est tout le contraire. Les Britanniques n’ont perdu aucun Harrier en combat aérien et ils ont dominé l’espace aérien sans partage grâce à leur supériorité conférée par leurs missiles dernière génération dont les Argentins ne disposaient pas.

« Le 19 mars 1982, un groupe de civils argentins se faisant passer pour des ferrailleurs débarqua sur l’île de la Géorgie du Sud et la déclarèrent propriété de l’Argentine. »
A nouveau les auteurs ont tout faux. On se demande s’ils n’ont pas rédigé cette notice à l’aide des coupures de presse du Sun ou du Daily Mail. Car c’est en effet dans ces termes que la presse de caniveau anglaise présenta les faits à ses lecteurs le lendemain. Dans les faits, ces travailleurs étaient bien des ferrailleurs et ils étaient venus dans les îles avec l’accord du gouvernement britannique dans le cadre d’un contrat commercial en bonne et due forme. Voici ce qui s’est réellement passé.

Les Malouines

En 1979, Constantino Davidoff, un ferrailleur argentin, se porte acquéreur auprès d’une compagnie anglaise d’une station baleinière désaffectée en Géorgie du sud, un territoire dépendant des Malouines. Davidoff, ne pouvant utiliser les services du navire britannique desservant l’île pour y transporter ses ouvriers et son équipement, accepte bien volontiers d’affréter le Bahia Buen Suceso, un cargo appartenant à une compagnie de navigation gérée par la Marine argentine.
Davidoff et ses ouvriers, munis des papiers réclamés par l’ambassade anglaise à Buenos Aires, arrivent sur le site de la station baleinière le 19 mars 1982 et entreprennent de débarquer leur matériel. Ils sont interceptés par trois membres du British Artic Survey qui leur intiment l’ordre de se présenter auparavant à Grytviken pour y régulariser leur situation. Les Argentins s’y refusent car ils sont dispensés de cette formalité en vertu d’un accord de libre circulation entre les deux pays.
Mis au courant de la situation, Rex Hunt, le gouverneur des Malouines informe Londres que la Géorgie du sud a été envahie par des militaires et des civils argentins. Les représentants de la FIC se chargent de faire monter en pression la presse populaire qui trouve dans cet incident l’occasion de relancer la xénophobie antihispanique.
Le 21 mars 1982, Foreign Office accepte les explications argentines et qu'il s'attend au départ du Bahia Buen Suceso pour le lendemain. Toutefois, dans les îles l'humeur des autorités n'est pas à la conciliation. Sans consulter lord Carrington, mais avec l'accord de la Royal Navy, le gouverneur Rex Hunt ordonne à vingt-deux Marines de s'embarquer à bord de l'Endurance pour expulser les Argentins manu militari.
La presse londonienne s'en donne à cœur joie, exacerbant les passions avec des articles à sensation largement alimentées par les bureaux de la FIC. Les Anglais indignés apprennent en prenant leur petit-déjeuner que les Argentins ont envahi la Géorgie du Sud, mettant en péril la sécurité du Royaume et celle du monde libre. Ils omettent d'écrire que le navire a quitté les lieux, que les travailleurs ont débarqué dans le cadre d'un contrat en bonne et due forme et que des Royal Marines sont en route pour les expulser.
Voilà l’origine probable des informations utilisée par R. G. Grant pour écrire cette notice lamentable sur les Malouines : des coupures de presse xénophobes.

Quelle leçon tirer de ce désastre éditorial ?

Se souvenir que les Anglais sont anglais et qu’ils voient l’histoire du monde d’un autre œil que le nôtre. De même que l’on ne peut pas acheter des livres de jardinage anglais sans les adapter en raison de la différence de climat, on ne peut acheter des livres d’histoire illustrés sans prendre en compte nos différences de perspective. Enfin, pour talentueux qu’ils soient, les traducteurs non spécialistes ne bénéficient pas d’un savoir universel. L’éditeur doit faire appel à des adaptateurs spécialisés bénéficiant du concours de spécialistes en mesure de repérer les erreurs ou la mauvaise foi et de rectifier les mauvaises traductions.
Voilà pourquoi nous encourageons Flammarion à réclamer une ristourne à Dorling Kindersley et à préparer une édition revue et corrigée pour les futures réimpressions.

A titre d’exemple à suivre, voici ce que nous avons écrit de l'édition française d’un autre ouvrage de R G Grant ayant bénéficié d’une adaptation bien faite.

Aviation, un siècle de conquêtes

R. G. Grant
Sélections du Reader’s Digest, 452 p., ill., index, 44,95 e, ISBN 2-7098-1789-6.

Ce magnifique album est une version grand-public de l’histoire de l'aviation. L’auteur est un publiciste tout terrain qui ne brille pas par des qualités universitaires. Après un premier titre en 1995 consacré à « 1848, l’année des révolutions », il a publié près de trente ouvrages, le dernier en 2006 (Communism), soit trois titres par an. Une belle moyenne et un bel éclectisme. R. G. Grant s’est intéressé aussi bien à l’holocauste, qu’aux grands assassinats, à la traite des noirs, à la biographie de Winston Churchill ou à l’histoire des services secrets britanniques. Contrairement aux affirmations de l’éditeur, toujours optimiste, l’auteur n’est pas un historien mais un vulgarisateur. Faut-il alors déconsidérer pour autant ce livre superbement illustré ? Non pour deux raisons. La vulgarisation est un vrai métier et R. G. Grant a un réel talent de communicateur et, last but non least, la version française a été assurée par un historien de valeur, Patrick Facon, qui a adapté le texte au lectorat français. On sent sa patte dans la description de la bataille aérienne de 1940 où l’ouvrage rend hommage à l’Armée de l’air française, or il y a fort à parier que ces lignes ne se trouvent pas dans l’édition originale. En revanche, le récit de la bataille d’Angleterre est plus conventionnel et respecte la légende dorée de la RAF sans rappeler, par exemple, que la décision allemande de bombarder les villes anglaises est une action en représailles aux bombardements des villes allemandes ordonnés par Churchill pour obliger la Luftwaffe a ralentir ses attaques des installations aéronautiques britanniques. Ces divergences d’appréciation sont normales pour un livre grand public qui doit rester dans le ton de l’histoire telle que la racontent les journalistes, sans trop verser dans les opinion hétérodoxes, privilège des historiens. La qualité de la recherche iconographique, la précision du vocabulaire en font un volume très réussi, parfaitement adapté à son public que l’on peut recommander sans grandes réserves.

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