dimanche 7 octobre 2007

Savoir lire les images

Le livre de François Icher consacré à la Première Guerre mondiale (et qui vaut le détour), nous rappelle à quel point les photographies sont parcourues le plus souvent par un œil distrait alors qu'elles peuvent nous en apprendre beaucoup.
Le regard critique appliqué aux photographies peut débusquer des faux ou bien des erreurs de légende. Ainsi, la photo que vous pouvez voir plus bas de soldats américains chargeant aux côtés de chars Renault au milieu d'explosions d'obus provient d'une mise en scène.
Pour avoir examiné plus de 20000 photos américaines aux National Archives, je n'ai jamais vu une seule photographie de ce style. A cette époque ce type de cliché d'action est impossible à prendre. Il s'agit selon toute vraisemblance d'une photo de plateau, prise lors du tournage d'un film consacré à la Grande Guerre.
Mais le bidonnage ne serait-il pas aussi vieux que la photographie ? Un des clichés de la guerre de Crimée les plus célèbres, pris par le photographe anglais Roger Fenton, a souvent fait l'objet de polémiques.


La vallée de la mort.

Or, dans son blog du New York Times, le cinéaste Errol Morris raconte l'enquête qu'il a menée pour déterminer les circonstances de prise de vue de la photo afin de déterminer si oui ou non cette photographie était le résultat d'une savante mise en scène.

En effet, il existe deux versions de cette photographie. La première présente une route battue par l'artillerie russe, les boulets recouvrant la chaussée (ci-dessus). La seconde, prise au même endroit, montre une route sans boulets.

S'agit-il d'une mise en scène par le photographe ?

Selon ses contempteurs, après avoir photographié une première fois la route, Roger Fenton, trouvant que le cliché manquait de punch, aurait pris des boulets dans les fossés pour corser le décor.
Ou bien, a-t-il pris deux photos, une première avant un bombardement russe, la seconde après ?
Enfin, troisième hypothèse, les boulets auraient-il été ramassés entre les deux prises de vues pour une éventuelle récupération ?

Errol Morris mène l'enquête et son travail, exemplaire, mérite le détour.

Errol Morris.


Pour en savoir plus sur Errol Morril


Megan Cunningham est la directrice de Magnet Media et elle s'est longuement entretenue avec Errol Morris pour son livre Art of the Documentary (Pearson Education).

Errol Morris : découverte de réalités inattendues

Dans l’industrie du divertissement, Errol Morris* est un véritable caméléon. Dans le monde de la production commerciale, il est reconnu comme un réalisateur à succès à la fois innovant et intelligent. (Il est l’un des rares, sinon le seul, réalisateur de spots publicitaires télévisés à avoir écrit un article publié dans The New York Times.) Pour les agences de publicité et de spectacle, il est connu pour son extraordinaire vision décalée et reçoit des honneurs généralement réservés aux artistes non commerciaux. (En novembre 1999, son œuvre a fait l’objet d’une rétrospective complète au Musée des arts contemporains. En 2002, les organisateurs de la cérémonie des Academy Awards lui ont demandé de réaliser la courte séquence d’introduction de la cérémonie annuelle des Oscars ; elle présentait des personnages réels, célébrités et citoyens ordinaires, qui décrivaient leur passion pour le cinéma.) Dans un article de 2004 du magazine Adweek décrivant Morris comme une personne qui « sort de la mêlée pour créer une œuvre qui résonne et inspire », Jesse Wann, le producteur de Weiden and Kennedy, déclarait que Morris avait un don pour « trouver les choses dans l’instant. Ce n’est pas un écrivain de storyboard. Il a un œil atypique qui ressort dans les séquences stylisées de ses films et spots publicitaires ». En fait, son travail commercial comprend quelques-unes des plus célèbres campagnes télévisées : une vénérable campagne post 11 septembre pour United Airlines ; la célèbre campagne « Switch » pour Apple Computer ; une campagne style témoignage pour MoveOn.org, mettant en scène des électeurs qui ont voté pour Bush aux élections précédentes mais qui avaient l’intention de donner leur voix à Kerry en 2004 ; une publicité récompensée par un Emmy Award (« Photo Booth ») pour PBS ; les très populaires spots publicitaires de bière anti-bière de Miller High Life et bien d’autres encore pour ESPN, American Express et Intel.

Lire la suite.




Voici quelques autres photographies de Roger Fenton :



Le maréchal Pélissier



Lord Raglan


Lieutenant General Barnard, à gauche, le capitaine Barnard (à droite) avec au centre un autre officier. A droite deux domestiques. Autres temps, autres guerres.



Pour en savoir plus sur cette guerre :


La guerre de Crimée

Alain Gouttman

Tempus, n°124


En temps normal, on ne devrait consacrer à la sortie d’un livre de poche que quelques lignes purement factuelles. Mais comment rester de bois à la lecture d’un petit bijou publié en 1995, bien avant la création de notre revue ? Cet ouvrage méritait amplement de trouver une nouvelle vie en format poche pour le plus grand bonheur des amateurs d’histoire en général et de l’auteur de cette recension en particulier.
La guerre de Crimée est méconnue même si elle est présente dans le quotidien des Français grâce à des noms symboliques dont la signification est oubliée de la plupart de nos concitoyens comme le zouave du pont de l’Alma, Malakof ou le boulevard Sébastopol.
Bien avant la guerre de Sécession, l’expédition de Crimée est la première guerre industrielle non seulement par la mobilisation de moyens inouïs pour l’époque mais aussi par la naissance de l’opinion publique mise en syntonie avec les malheurs des soldats par la toute récente presse quotidienne de masse. Plus important pour les Français, elle referme pour notre marine la parenthèse désastreuse des guerres de la Révolution et de l’Empire. L’écrasante supériorité de la Royal Navy, forte de deux cents vaisseaux, contre moins de trente pour notre pavillon, est effacée aux yeux de tous par la qualité de nos ingénieurs. Désormais, sans prétendre aux premiers rôles, notre marine, abandonnant la voile pour la vapeur, est capable d’atteindre les objectifs stratégiques qui lui sont fixés.
L’auteur écrit remarquablement bien, son texte est bien argumenté et articulé, dissipant au passage bien des légendes attachées à cette guerre, souvent racontée par les Anglais au détriment des Français et dont on garde en mémoire que les mauvais aspects. On peut regretter une approche trop chronologique et le manque de chapitres de synthèse, notamment sur les progrès techniques ou encore sur le volet sanitaire (et faire le point sur Florence Nightingale dont nous ne partageons pas le portrait idyllique qu’en trace l’auteur). Mais ces regrets sont oubliés par des passages brillants, comme celui où l’auteur compare la nature des soldats français et russe à celle de leurs homologues britanniques. Les militaires d’aujourd’hui reconnaîtront des parallèles toujours valables entre, par exemple, les Français et les Américains.
La description qu’Alain Gouttman fait de l’armée britannique improvisée du premier hiver en Crimée est hallucinante. On comprend mieux pourquoi cette guerre est restée gravée au fer rouge dans la mémoire de ce peuple insulaire. On ne peut s’empêcher de songer à ces tableaux des peintres à la mode à Londres qui décrivent des soirées dans des abris en Crimée, les officiers bien emmitouflés et bien pourvus de victuailles. Mais ces artistes ne montraient pas les simples soldats mourant de faim au même moment, mendiant le droit de manger le fond des gamelles des Français ou désertant vers les lignes russes.
Un des nombreux mérites de cet ouvrage est de mettre en lumière, une fois de plus, les méfaits de la domination anglophone de l’histoire. Nous avons conservé de cette guerre uniquement la vision anglaise d’où notre armée, nos soldats et nos marins sont absents alors qu’ils ont fourni les deux tiers des effectifs et ont sauvé la mise des Anglais grâce à leur expérience et à leur logistique. De même, il est fort possible que dans un siècle, l’histoire de la Grande Guerre ne sera connue des Français de demain que par la bataille de la Somme et que la figure du maréchal Pétain sera remplacée par celle de l’insipide maréchal Haig !
Avec ce livre réussi, les lecteurs vont réparer une injustice faite à la mémoire de nos combattants et aussi passer un bon moment. In fine, ils verront désormais le zouave du pont de l’Alma avec un œil différent. Ils reconnaîtront un brave qui ne mérite pas que seules les crues de la Seine le tirent de l’oubli.

Un blog pour ceux qui s'intéressent aux images.



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