mardi 29 avril 2008

Le néo-fascisme triomphe-t-il à Rome ?

Avec un titre à faire trembler les bobos, « La droite dure met Rome à sa botte », Libération rend compte en Technicolor de la victoire de la droite à Rome. Les électeurs de la ville éternelle ont choisi Gianni Alemanno, ancien néofasciste, comme nouveau maire de la capitale.

Pour ceux qui voudraient en savoir plus sur le néo-fascisme italien, voici un bon point de départ.




La fiamma e la celtica

Nicola Rao

Sperling, 12 €, ISBN 
978882004193

L’Italie ne se distingue pas seulement par ses pâtes al dente et ses cyclistes gonflés à l’EPO. Elle s’est longtemps différencié par la présence dans sa vie publique d’un parti se réclamant du fascisme mussolinien, seul cas en Europe de survivance politique du camp des vaincus de la Seconde Guerre mondiale. Un mystère que le journaliste Nicola contribue largement à éclaircir dans son nouveau livre, bien écrit et solidement documenté, La Fiamma e la Celtica.

En avril 1945, Pino Romualdi, le secrétaire général adjoint du Parti fasciste se bat comme un beau diable pour organiser la survie du mouvement après la catastrophe qui s’annonce. Son objectif est de plonger l’appareil du parti dans la clandestinité et de poursuivre la résistance aux Communistes et aux envahisseurs.

Ce plan très ambitieux se révèle impossible à mettre en œuvre. Dans le nord du pays, les maquis règlent leurs comptes dans le sang. La répression coûte la vie à des dizaines de milliers de responsables fascistes et un climat de terreur s’instaure partout.


Le parti des héritiers de Mussolini n’a pas davantage échappé à l’électoralisme qu’au passage du temps et des générations. De même, les défenseurs des idées du général De Gaulle se sentent bien seuls à l’UMP et les vieux travaillistes ne se reconnaissent pas dans le New Labour à la sauce Tony Blair. Il faut se faire une raison, en politique, la fidélité ne dure qu’un temps, celui de la jeunesse. Ici Gianni Alemanno en des temps plus musclés.

Les hiérarques survivants se cachent comme ils peuvent. A l’instar de Romualdi, les plus chanceux se réfugient à Rome où les Alliés font régner un calme relatif. Pour le moins, les tueurs communistes ne jouissent pas d’une impunité totale.

Mais l’ambiance n’est pas à l’abattement. Alors qu’au milieu de leurs ruines les Allemands acceptent servilement le joug de leurs nouveaux maîtres, les jeunes proscrits, ceux qui sont montés au créneau pour défendre l’éphémère République sociale italienne, refusent la défaite.

Ce ne sont pas que des mots. A peine quelques semaines après la fin des combats, les attentats symboliques se multiplient. En octobre 1945, un commando hisse le drapeau noir sur la Torre delle Milizie, au cœur de Rome. En avril 1946, un autre déterre la dépouille de Mussolini avant de la rendre et, peu de temps après, des militants occupent brièvement une station de radio romaine pour diffuser… Giovinezza, le chant fétiche de la jeunesse fasciste.

Le fascisme romain aujourd'hui.

Pino Romualdi ne s’est pas démobilisé. Sans se soucier de la condamnation à mort qui lui pend aux basques, il est de tous les fronts. L’échec du passage à la clandestinité, le conduit à s’interroger sur l’avenir du fascisme en Italie. Compte tenu de la domination sans partage du Parti communiste italien (PCI) et de la Démocratie-Chrétienne (DC), Romualdi comprend que la violence ne mène à rien. Il ne voit pas d’autre issue que l’action politique démocratique et le 26 décembre 1946, l’hebdomadaire Rivolta Ideale annonce la création du Movimento Sociale Italiano (MSI).

Le baptême du feu électoral du MSI a lieu en avril 1948. Le résultat est une déception pour les missini. Avec seulement 2% des voix, c’est la démonstration que le pays a tourné la page du fascisme. Autre surprise, qui va déterminer l’orientation politique pour les années à venir, les succès du parti sont engrangés dans le sud du pays. Le nord industriel, bien tenu en main par PCI, boude les héritiers de la République de Salo.

Au premier congrès de juin 1948, de nombreux camarades ne s’étaient pas vus depuis les chasses à l’homme communistes trois ans plus tôt. L’aile gauche arrive avec dans ses bagages l’héritage de la RSI, la rupture avec la monarchie, avec la bourgeoisie, avec le haute finance, avec le monde industriel. L’aile droite, plus réaliste, veut tenir compte de la guerre froide qui s’installe et de l’influence des Etats-Unis. Pour mettre tout le monde d’accord, une proposition est adoptée avec un slogan fédérateur : « Ne rien renier, ne rien restaurer ».

Aujour’hui, la Fiamma, la flamme tricolore du MSI, a disparu de l’horizon électoral italien. La celtica, la croix celtique des jeunes de la droite radicale, s’aperçoit de temps en temps dans les rues dans des cortèges maigrichons. La société italienne qui refuse la gauche molle de Romano Prodi comme la droite friquée de Berlusconi se cherche une alternative. Elle n’est pas prête de la trouver. Au rayon des nostalgies, seul le Che résiste à l’usure du temps. Peut-être parce qu’il n’intéresse plus que les marchands de souvenirs.


Un intellectuel en chambre

Alors que leurs aînés se battent à coups de motions, les jeunes missini sont à la recherche de repères pour les guider dans ce monde nouveau. Ils le trouvent dans une chambre de bonne misérable de Rome où il gît paralysé Julius Evola. Autrefois marginalisé par le Duce, le philosophe est devenu le maître à penser des nouvelles générations mussoliniennes. Evola apprend à ses jeunes disciples à vivre en guerriers héroïques, prêts à se sacrifier au nom de l’honneur, de la fidélité et du désintéressement de soi.

Julius Evola change le fascisme en néofascisme. L’écrivain démode d’un coup tout l’horizon intellectuel du MSI. Le nationalisme étroit et chauvin, les lectures restreintes à Marinetti, d’Annunzio ou Gentile : c’est fini. Maintenant, les jeunes du MSI ne jurent que par l’Imperium. Leur ennemi n’est plus l’Union soviétique ou les Etats-Unis, c’est le matérialisme que ces deux grandes puissances incarnent.

En 1950, Giorgio Almirante est provisoirement mis sur la touche au profit de l’aile plus conservatrice, renforcée en novembre 1951 par l’arrivée au parti du prince Borghese, récemment libéré de prison. Doté d’un immense prestige, acquis durant la guerre à la tête de la Decima Mas, cette unité spéciale de la marine italienne qui a multiplié les exploits contre les Alliés, le prince ne cache pas ses sympathies proaméricaines et son désir que l’Italie rejoigne l’Alliance atlantique.

Le jeu démocratique n’est guère fécond pour le MSI. Tout au long des années cinquante et soixante, sous la houlette Arturo Michelini en qui maintient tant bien que mal la nef à flot, le parti se déchire entre conservateurs et « gauchistes », atlantistes et « évoliens », nationaux et européens ou encore libéraux et corporatistes. Les plus radicaux refusent les compromis exigés par la vie démocratique. L’indispensable accord avec la DC leur apparaît comme un dérive inacceptable et ils quittent le parti pour lancer des mouvements plus « authentiques ».

Le rapprochement avec la DC, bien avancé en 1960, est bloqué par la contre-attaque de la gauche qui oblige la DC a se passer du soutien des fascistes au Parlement. Le pouvoir en tire les leçons. C’est alors que se met en place le trop fameux « arc constitutionnel » réunissant tous les partis « convenables » à l’exception du MSI, schéma d’exclusion que l’on retrouvera plus tard, par exemple, en France avec le Front national ou en Belgique avec le Vlams Belang..

Giorgio Almirante récupère sa place dirigeante en 1969 mais après une brève embellie électorale qui conduit le gouvernement à poursuivre le MSI pour reconstitution du Parti fasciste, les missini connaissent des hauts et beaucoup de bas. Surtout des bas, comme la débâcle de l’Eurodroite, cette candidature commune aux élections européennes de 1979 réunissant notamment le du PFN et le MSI.

Les déceptions électorales, les affrontements incessants avec l’extrême-gauche, le climat de guerre civile déclenché par les groupes terroristes gauchistes, conduisent tout naturellement quelques jeunes missini à quitter le parti et à se lancer dans la lutte armée. Les résultats seront tout aussi lamentables que ceux de leurs adversaires.

Ce sont des années dures où l’on lit dans les rues des graffitis comme « Fasciste, ta place est au cimetière » ou bien encore « tuer un fasciste c’est pas un délit ». Les journalistes s’en donnent à cœur joie et font chorus avec la gauche et l’extrême gauche pour dénoncer la jeunesse noire. Dans les universités, dans les usines ou les administrations, la haine est palpable. Les jeunes fascistes craignent à juste titre pour leur vie.

La Nouvelle droite

En 1977, un courant de pensée venu de France secoue le MSI. Des responsables comme Pino Rauti ou des intellectuels comme Marco Tarchi se font l’écho des recherches de la Nouvelle Droite. On lit toujours Evola, mais les jeunes se passionnent davantage pour les idées d’Alain de Benoist ou pour l’œuvre de Tolkien et organisent des camps d’été appelés Campo Hobbit. Comme en France quelques années plus tard, la greffe néo-droitiste ne prend pas et les éléments les plus engagés intellectuellement s’éloignent d’un MSI empêtré dans un électoralisme à courte vue comme celui de restaurer la peine de mort contre les terroristes !

Après le décès de Giorgio Almirante en 1988, son dauphin Gianfranco Finni, l’ancien responsable des jeunesses, s’empare définitivement du parti en 1991. La déconfiture de la DC et l’apparition à droite de forces nouvelles comme celles gravitant autour de Silvio Berlusconi lui semblent être des opportunités à saisir. Le pas est franchi le 25 janvier 1995 quand Finni tourne le dos à la tradition fasciste et fonde Alleanza Nazionale (AN), un parti conservateur très comme il faut.

Les résultats sont au rendez-vous car, dès l’année suivante, AN récolte 15,7 % des voix et devient le troisième parti italien. Depuis cette date, les scores électoraux d’Alleanza Nazionale restent très stables, oscillant entre 12 et 15 % des voix. Le pari est gagné, mais l’électoralisme se paye au prix fort. Le 23 novembre 2003, en visite au mémorial de Yad Vashem, Gianfranco Finni n’hésite pas à inscrire le fascisme au tableau des horreurs absolues du xxe siècle. Ces propos se traduiront par le départ des derniers fidèles à la mémoire du Duce dont sa petite-fille Alessandra.

Visiter une réserve de jeunes fascistes.

Aucun commentaire: