dimanche 4 janvier 2009

Flammarion sur orbite

La conquête de l'Espace

Giles Sparrrow


Flammarion, 318 p., très illustré, grand format, index, 40 e, ISBN 9782081212817.


À l’instar de la majorité des albums illustrés, celui que vient de publier Flammarion sur la conquête de l'espace a été acheté au Royaume-Uni. Il a été excellemment traduit par Stéphanie Soudais avec une relecture par Nathalie Sawmy. Cette dream team de filles a réussi un quasi sans faute, ce qui est assez rare pour être signalé. J'ai notamment apprécié une bonne correction typographique du texte (à l'exception de la gestion des blancs qui semble en option). Je n'ai pas trouvé une seule lettre capitale fautive dans tout le texte. À ce bon travail d'adaptation, il faut ajouter un ouvrage de qualité au départ, ce qui est inhabituel pour un ouvrage anglais.

L'anglocentrisme impitoyable de nos voisins rend leur production éditoriale dans le domaine historique pratiquement illisible dès qu'on s'éloigne des rives de la Tamise. Or, par un fait du destin, les Britanniques n'ont eu qu'un rôle proche de zéro dans tout ce qui a trait à l'espace, nous voilà donc sauvés. N'ayant pas l'ego insulaire à défendre, ils rendent compte des efforts des autres avec impartialité louable. Grâce à leur marché international en langue anglaise, ils ont aussi les moyens de réunir une collection de photographies sans équivalent. L'illustration de cet ouvrage est très réussie, un modèle du genre.

Des pionniers aux Indes ou en Chine, en passant par les rêveurs un peu fous en Europe ou aux Etats-Unis qui ont fait les premiers pas, l'ouvrage avance en ordre chronologique et détaille pas à pas toutes les étapes de cette histoire étonnante qui fait honneur à l'esprit humain.

Des noms aujourd'hui oubliés par le grand public et par les diffuseurs d'ignorance que sont les journalistes, tels Konstantin Tsiolkovski, Robert Goddar ou Hermann Obert sont à l'honneur et leurs apports respectifs bien mis en lumière. Il est frappant de voir comment dans le cas des deux derniers, c'est la lecture d'ouvrages d'anticipation d'H.G. Wells ou de Jules Verne a joué un rôle dans la naissance de leur vocation.

La première entrée en scène des fusées avec les projets militaires allemands de la Seconde Guerre mondiale est racontée sans pleurnicheries comme le font habituellement les Allemands, ici on retrouve avec plaisir tout le détachement britannique. On peut trouver quelques erreurs de détail par exemple cette légende de la visite d'une délégation militaire en mai 1944 où l'on identifie facilement l'amiral Dönitz et l'auteur écrit trop rapidement « l'amiral Dönitz et ses hommes » alors qu'il s'agit de militaires d'autres armes. Ou bien encore quand il affirme qu'en février 1945, le capitaine américain Robert Staver arrive en Europe pour trouver les cerveaux du V-2 et les amener devant la justice américaine. On se demande que vient faire la justice dans cette entreprise de pillage organisé ! Quoi qu'il en soit, l'arrivée en masse des ingénieurs allemands aux Etats-Unis à ce pays de se lancer en grand dans la course à l'espace et, surtout, dans l'application militaire des principes techniques des fusées.

La mise sur orbite de Wernher Von Braun aux Etats-Unis dans un extraordinaire cocktail de relations publiques et de bras de fer politique est bien racontée, même si l'auteur insiste de manière anachronique dans les responsabilités de guerre de ces scientifiques. Leurs collègues américains qui ont mis au point les munitions nucléaires ne sont-ils pas ans le même cas ? Durant ce temps, les Soviétiques qui avaient mis la main sur la piétaille allemande se gardaient bien de la mettre en valeur et n'avaient aucun souci de relations publiques.

Sans rentrer dans le détail, l'auteur met en scène avec beaucoup de talent la course aux étoiles à laquelle se sont livrées les grandes puissances en compétition dans la guerre froide. La mise en orbite du Spoutnik, la riposte américaine, le voyage fatal de la chienne Laïka, aux premiers satellites, les passionnés trouveront mille et un détails (sans oublier les photos) pour alimenter leur curiosité. Une double page est consacrée aux efforts britanniques et français, ce qui est bien raisonnable en raison de leur modestie par rapport à ceux de leurs grands coincements.

Au fil des pages superbes de cet album, on reste abasourdi devant l'étendue des efforts tant américains que soviétiques consentis dans cette course à l'espace. Le travail de recherche iconographie, les dessins techniques et les illustrations d'artiste sont exemplaires. Échecs, tragédies et succès se succèdent et l'homme progresse régulièrement sur cette échelle de Jacob qui le mène à la lune où finalement alunissent en 1969 Neil Armstrong et Buzz Aldrin, et où leurs premiers pas sur la lune sont retransmis à des milliards de Terriens grâce à la télévision. L'auteur nous rappelle aussi toutes les autres missions qui ont exploré notre satellite.

L'après Apollo est moins exaltante, des missions Skylab aux rencontres orbitales entre Soyouz et Apollo en passant par les projets d'avions spatiaux on arrive à la navette spatiale, à la station Mir et aux efforts modestes et persévérants des Européens réunis au sein de l'Agence spatiale européenne dont le nombre de pages est vraiment mesuré au pied à coulisse et n'a aucun rapport avec l'importance réelle du programme Ariane dans le monde spatial actuel. Mais comme en vouloir aux auteurs ? Les Anglais ont pris la désastreuse décision de se retirer de ce programme alors qu'ils y jouaient un rôle éminent.

L'ouvrage s'achève par un passage en revue est utilisations actuelles de l'espace (GPS, communications, astronomie) et par un aperçu des grands projets comme le retour sur la Lune, la conquête de Mars ou les colonies spatiales.

Faute de place, et sans doute pour rendre l'ouvrage plus « civil », l'auteur a exclu tout ce qui était relatif à l'utilisation militaire des fusées (en dehors des V-1 et des V-2). Pas un mot sur les fusées utilisées durant la Seconde Guerre mondiale ou sur l'utilisation stratégique des fusées dans le cadre de l'équilibre de la terreur. Pourtant, ces fusées balistiques sont les produits directs de la course à l'espace. En dehors de cette lacune volontaire, et très défendable, ce magnifique album est une réussite indiscutable et il compte parmi les meilleurs de l'année avec celui des éditions Italiques consacré aux Américains dans la Grande Guerre. Impeccablement traduit, bien relu, il mérite de se retrouver en première place sur la liste des cadeaux à faire en 2009.

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